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Barème Macron de plafonnement des indemnités de licenciement : c’est reparti pour un tour

Barème Macron : La Cour d’appel de DOUAI remet une pièce dans le nourrain. Cour d’appel de Douai, chambre sociale, n° 1736/22, 21 octobre 2022

La prosternation de la Cour de cassation, le 11 mai dernier, devant les ordonnances de 2017 semblait porter un coup décisif au combat mené (notamment par la CGT) contre le plafonnement des indemnités de licenciement.

Sèchement, la Cour fermait la porte à toute contestation basée sur l’application des normes internationales.

Certes, le 16 février 2022, l’Organisation internationale du travail (OIT) faisait preuve de peu de conviction en énonçant « que la conformité d’un barème, et donc d’un plafonnement, avec l’article 10 de la convention, dépend du fait que soit assurée une protection suffisante des personnes injustement licenciées et que soit versée, dans tous les cas, une indemnité adéquate ». Il invitait malgré tout « le gouvernement à examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du dispositif d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3, de façon à assurer que les paramètres d’indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif ».

Cependant, le 26 septembre 2022, s’agissant de la conformité du barème à l’article 24 de la charte européenne, le comité européen des droits sociaux se montrait beaucoup moins complaisant. Selon lui, « les plafonds prévus par l’article L.1235-3 du Code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur. En outre le juge ne dispose que d’une marge de manœuvre étroite dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés. Pour cette raison, le préjudice réel subi par le salarié en question lié aux circonstances individuelles de l’affaire peut être négligé et, par conséquent, ne pas être réparé. En outre, les autres voies de droit sont limitées à certains cas. Le Comité considère donc, à la lumière de tous les éléments ci-dessus, que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée au sens de l’article 24.b de la Charte n’est pas garanti. Par conséquent, le Comité dit qu’il y a violation de l’article 24.b de la Charte ».

C’est dans ce contexte que se situe l’arrêt de la Cour d’appel de DOUAI en confirmant dans son principe le jugement du Conseil de prud’hommes de LILLE. La juridiction de premier degré énonçait déja l’incompatiblité du barème avec les normes internationales mais n’en tirait aucune conséquence indemnitaire.

Si la Cour de cassation pensait faire taire les détracteurs du barème, elle en est pour ses frais. L’arrêt commenté relance le débat et ouvre une seconde ère à la contestation de la barèmisation. En effet, les juges douaisiens se livrent alors à une véritable critique de la décision de cassation.

  • S’appuyant sur la convention 158 de l’OIT les magistrats notent d’abord que « le texte a été déclaré d’application directe » par la Cour de cassation ce qui au demeurant ne faisait aucun doute. Ils interprètent ensuite la notion d’indemnisation « adéquate » à la lumière du  manuel de rédaction des instruments de l’OIT, relevant que cet adjectif doit être entendu comme « approprié », « adapté à un usage déterminé ou encore bien adapté, qui convient aux circonstances ».
  • Si les juges du quai de l’horloge ont bien relevé que le terme « adéquat » signifie que l’indemnité pour licenciement injustifié doit d’une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié et d’autre part doit raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi. Cependant, en ce qui concerne le caractère suffisamment dissuasif de cette indemnité, il est fait référence aux dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail qui vise au remboursement des indemnités chômage. Pour la Cour d’appel de DOUAI, l’indemnité allouée à ce titre ne peut être prise ne compte dans la mesure où elle indemnise un tiers (les organismes d’assurance chômage) et non le salarié.
  • Les montants prévus par le barème, lorsque l’effectif est supérieur à 15 salariés sont bien inférieurs aux montants octroyés par le barème italien (36 mois) ou finlandais (24 mois), ces derniers ayant également fait l’objet d’une critique de la CEDS.
  • Le barème impératif ne respecte pas le principe juridique de la responsabilité civile, dit indemnitaire, prévoyant la réparation intégrale du préjudice sans qu’il en résulte ni appauvrissement ni enrichissement de la victime, à défaut de réintégration dans l’emploi. Au nom de ce principe, était pris en compte pour déterminer le préjudice résultant d’un licenciement injustifié jusqu’alors : les circonstances de la rupture, le montant de la rémunération versée, l’âge du salarié ou son handicap, son ancienneté dans l’entreprise, sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, et les conséquences du licenciement, tels qu’ils résultaient des pièces communiquées et des explications fournies à la cour.
  • La fixation du barème a été établit en référence aux seules 2374 décisions rendues entre 2013 et 2017 dans le ressort du conseil des prud’hommes de Paris. En ne prenant en considération que l’ancienneté et le salaire moyen, il ne répond manifestement pas au principe de réparation « adéquate » du préjudice défini par les textes internationaux en ne prenant pas en compte l’ensemble des circonstances de la cause.
  • Enfin, le texte litigieux ne prévoit aucune « clause de dépassement du barème » qui répondrait aux circonstances particulières liées notamment aux charges de famille impérieuses ou aux difficultés de retrouver un emploi ; « ce mécanisme aurait l’avantage de garantir la sécurité juridique recherchée par le législateur tout en permettant une individualisation de la décision dans des dossiers ne permettant pas l’application de la fourchette imposée par le barème ».

Ainsi, pour la Cour d’appel, le barème MACRON n’offre pas une réparation adéquate du préjudice subi par le salarié. Elle estime en l’espèce que le juge doit prendre en compte l’impossibilité pour le salarié de retrouver un emploi en raison de ses problèmes de santé, la perte de revenu au regard du montant des indemnités journalières sécurité sociale perçues en comparaison de son ancien salaire, ses charges de famille inhérentes à ses 8 enfants dont 3 encore au foyer et les deux prêts immobiliers non remboursés. « Bien qu’âgé de 55 ans au moment du licenciement, il ne peut espérer ni une évolution de carrière ni un retour rapide à l’emploi » soulignent les juges.

Ainsi « l’écart entre le préjudice subi et le préjudice indemnisable en application du barème est démontré, ce qui s’explique par des circonstances particulières qui justifient de prendre en compte la situation personnelle du salarié pour éviter une atteinte disproportionnée à la protection contre le licenciement injustifié ».

Il est au surplus précisé « qu’il ne ressort pas des éléments du débat que le salarié aurait bénéficié d’une indemnité contractuelle ou conventionnelle complémentaire et qu’enfin il ne peut se prévaloir d’une autre voie d’indemnisation ».

Nul doute que cette prise de position fera l’objet d’un pourvoi. En attendant, elle devrait relancer le débat devant les juridictions du fond ou rien n’est encore joué d’avance !

Dominique HOLLE

UD CGT du Puy de Dôme

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