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Pourquoi réduire le temps de travail à 32 heures ?

Une bataille de longue haleine – Régis Frutier, NVO, octobre 2021

«À partir du 1er mai 1906, nous ne travaillerons plus que huit heures par jour. » Les photos
d’époque de l’immense banderole fièrement accrochée sur la devanture de la Bourse du Travail de Paris rappellent à quel point la réduction du temps de travail fait partie des combats fondamentaux de la CGT depuis sa naissance même. On le sait, il aura fallu mener d’âpres batailles pour qu’en 1919 soit enfin adoptée la loi sur les huit heures. Or, malgré le vote de cette loi, son application nécessitera encore de multiples luttes pour l’imposer pied à pied. Sur ce terrain, l’année 1936 bouscule la donne par une avancée sans précédent. Avec les premiers congés payés, l’utopie délirante de voir les patrons payer les
ouvriers à ne rien faire se réalise. Et, tandis que la CGT enregistre cette année-là un raz-de-marée d’adhésions, le Front populaire adopte la loi sur les 40 heures hebdomadaires. Annulée par Vichy, elle sera restaurée à la Libération.

On passe aux 35 heures avec les lois Aubry de 1998-2000. Là aussi, comme en 1919, rien d’automatique. Dès 2003, les 35 heures sont atténuées par la loi Fillon et le recul de l’âge de la retraite allonge de nouveau le temps de travail. Car la bataille se décline sur tous les rythmes de la vie : le temps de travail journalier, hebdomadaire, annuel (congés) ou de carrière (retraite). Sur le long terme, malgré les reflux qui suivent presque systématiquement les grandes avancées, retenons toutefois que le temps de travail
a quasiment été divisé par deux depuis le milieu du XIXe siècle. Pendant ce temps, la productivité s’est accrue de manière exponentielle et, d’ailleurs, le passage aux 35 heures a encore permis d’accroître les gains de productivité de 4 à 5 %, selon l’Insee. Ces dernières années, le coup d’arrêt sur la réduction du temps de travail apparaît donc comme une anomalie, une période de gel du progrès social, que la CGT entend bien débloquer.

Les 32 heures s’imposent dans le paysage

De nos jours, la réduction du temps de travail à 32 heures revient au cœur des réflexions comme un outil de sortie de crise, et pas seulement à la CGT. Ainsi, l’un des groupes de la Convention citoyenne sur le climat, née en 2019, préconisait-il déjà non pas le passage aux 32 heures, mais aux 28 heures. Une mesure, qui a finalement été écartée après un débat mouvementé. Ailleurs pourtant, des pays, comme l’Espagne ou l’Islande lancent des expérimentations sur les 32 heures. En Suède, les ouvriers de l’usine Toyota de Göteborg sont désormais aux 30 heures. Sa direction y a gagné en gains de productivité et les salariés en santé et bien-être, comme en témoigne la baisse des arrêts maladie. En France, des entreprises commencent à expérimenter les 32 heures, comme Airbus à Nantes, pendant le premier confinement.

 

La crise sanitaire accélère l’urgence

 

Tandis que, durant la pandémie, les aides d’État ont alimenté le chômage partiel, la sortie de la période pourrait bien se traduire par une avalanche de plans de licenciements qui grossiraient encore les rangs des chômeurs actuels. Le constat d’un temps partiel imposé massif – notamment pour les femmes – et le fait qu’on enregistre aussi 800 millions d’heures supplémentaires (soit l’équivalent de 500 000 emplois à temps plein) alertent sur l’absurdité d’un nouvel allongement du temps de travail, tel qu’envisagé notamment par
le report de l’âge de la retraite. Des éléments qui justifient pleinement la relance par la CGT de cette campagne qu’elle mène sur le très long terme pour la réduction du temps de travail.

 

A Bosch Vénissieux, on vit déjà aux 32 heures

 

 

3 raisons de passer aux 32 heures

 

1. Une revendication historique

Analysée comme centrale par Karl Marx dès le XIXe siècle, la question de la réduction du temps de travail a toujours été l’une des principales revendications du mouvement syndical et en particulier de la CGT. Dans les années 1970, la CFDT la reprenait aussi à son compte, mais ces dix dernières années, la centrale réformiste s’est montrée beaucoup moins à la pointe sur la question qui n’apparaît plus dans ses
campagnes. Conçue comme le moyen d’imposer un rapport de force plus favorable au travail dans l’affrontement capital/travail et la répartition des richesses créées, la réduction du temps de travail apparaît aujourd’hui particulièrement pertinente au vu d’une situation où se cumulent trois éléments
fondamentaux qui dégradent la situation des salariés : le chômage de masse, le temps partiel imposé et le recours massif aux heures supplémentaires. Des facteurs qui concourent aussi à constituer ce que Marx appelait déjà une « armée industrielle de réserve ».

 

2. Augmenter les salaires et embaucher

Réduire le temps de travail en maintenant les salaires équivaut, de fait, à une augmentation du salaire
horaire, laquelle augmentation est revendiquée par la CGT. Cependant, il importe aussi d’en passer par la loi pour créer des embauches. Lors du passage aux 35 heures, c’est dans les lieux où les obligations d’embauche n’étaient pas respectées qu’il y a eu le plus de difficultés, dans les hôpitaux publics notamment.

 

3. Partager la valeur ajoutée

Augmenter les salaires et diminuer le temps de travail reviendrait aussi à déplacer le curseur du partage de la richesse créée en prélevant une part des profits qui, aujourd’hui, ne revient ni aux salariés ni à l’investissement. Il est grand temps d’exiger une ouverture des négociations avec le gouvernement.

 

 

32 heures, un nouveau souffle

Entretien avec Baptiste Talbot, pilote du groupe de travail confédéral (CGT) sur la réduction du temps de travail. Entretien réalisé par R.F.

Pourquoi la CGT relance-t-elle la campagne sur les 32 heures ?

Nous estimons que la crise pandémique, avec ce qu’elle a mis en lumière, appelle à des solutions de rupture. D’où la logique CGT d’un plan de rupture. Parmi les propositions que nous voulons faire, il y a
la réduction du temps de travail qui répond à des enjeux fondamentaux. C’est un des leviers de réduction des inégalités entre les femmes et les hommes, pour un meilleur équilibre entre vie personnelle et professionnelle et c’est aussi le vecteur d’une meilleure répartition des richesses au profit de celles et ceux qui produisent. Cela peut aussi permettre aux femmes en temps partiel imposé d’accéder aux emplois à temps complet. Ce qui suppose de développer un service public de la petite enfance. Plus fondamentalement, c’est un outil de transformation de la société, y compris sur les aspects environnementaux parce qu’une semaine de quatre jours réduit les déplacements, ce qui économise l’énergie.

La France serait-elle une pionnière ?

C’est plutôt une question qui prend corps au niveau international avec des mises en débat, des propositions et diverses expériences. L’aspiration est montée à partir de la crise pandémique, sachant qu’à l’étranger, cela émerge surtout avec la semaine de quatre jours. Des expériences ont vu le jour en Islande et en Espagne. Aux États-Unis, des députés démocrates ont déposé un projet de loi pour la semaine de quatre jours à 32 heures, avec maintien des salaires. L’étude islandaise montre qu’avec les 32 heures on travaille mieux et on est plus productifs. Des propositions syndicales émergent en Allemagne, du syndicat IG Metall notamment, et une campagne syndicale est lancée en Irlande.

Comment s’engage cette campagne ?

Elle est conçue en deux temps. Nous avons édité un livret sur les 32 heures et engagé une phase interne en direction des organisations de la CGT. Le 14 octobre, nous organisons à Montreuil une journée de lancement public de la campagne qui vise le monde du travail et, dans la période électorale qui s’ouvre, à assumer que nous cherchons aussi à alimenter le débat public dans ce cadre.

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