Nous poursuivons notre recension des travaux d’évaluation sur la mise en place des CSE. Après avoir présenté le rapport de France Stratégie, nous présentons les appels à projets qui ont permis d’aboutir à celui-ci. Nous vous proposons de commencer par le rapport de l’IRES. Ce dernier se fonde sur des monographies et l’étude des accords de huit entreprises.
Le rapport revient sur les objectifs de la réforme qui étaient de simplifier et de rationaliser la représentation du personnel. Une rationalisation en termes de coût et en termes de temps. Cet objectif est justifié par une confusion entre la légitimité et l’efficacité économique de la norme. Il s’agit de rendre le droit plus efficace, plus performant, notamment d’un point de vue économique. A tout le moins il est attendu de ce nouveau régime de représentation collective des retombées économiques positives. On trouvera notamment l’exemple d’une direction ayant chiffrée l’économie réalisée par le passage au CSE.
Une concentration plutôt qu’une centralisation des instances
L’étude s’est portée sur la structuration interne des relations professionnelles. La régulation de celle-ci serait devenue hiérarchique et centralisée. Elle souligne ainsi un paradoxe : « si l’attention du législateur porte beaucoup sur le niveau de l’entreprise et encourage à la décentralisation, un certain nombre de groupes étudiés procèdent à une recentralisation au niveau du groupe » (p. 29).
La centralisation s’observe aussi dans les accords décentralisés, c’est-à-dire ceux conclus dans les entreprises d’un groupe ou les établissements d’une entreprise, qui dupliquent les clauses de l’accord conclu au niveau supérieur ou qui reprennent des termes proches.
La difficulté est posée par la définition du périmètre et du nombre d’élus. C’est ainsi que les accords de configuration renvoient à certaines procédures d’information et de consultation au niveau central.
Des moyens supplémentaires sont parfois donnés, notamment aux organisations syndicales. Mais ces moyens sont accordés au niveau central en termes de temps et d’espaces de discussion. Ce qui témoigne encore d’une logique de centralisation. Ces moyens se voient par ailleurs assigner une finalité dont les élus et organisations syndicales ne sont pas seules décisionnaires. Cela correspond selon l’étude à une « diffusion du modèle hiérarchique » (p. 52). Les élus sont distanciés des collectifs de travail et « leur mission consiste essentiellement à participer aux réunions avec la direction » (73).
En outre, la réduction du nombre d’instances n’est pas nécessairement le fait des ordonnances. Cela correspond aussi à une évolution de la structuration des entreprises.
Des freins demeurent à la centralisation du fait de missions du CSE qui exigent de la proximité, notamment les attributions en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail et d’activités sociales et culturelles.
Mauvaise prise en charge de l’enjeu de proximité
La concentration des instances représentatives du personnel consécutives à la mise en place des CSE est parfois compensée par des « organes déconcentrés » (p. 36) comme les commissions. Cela permet donc de créer des espaces de discussion qui ne sont pas directement placés au niveau central. L’accord peut donc configurer des « antennes » du CSE notamment dans l’objectif de réintroduire de la proximité vis-à-vis des salariés.
La création de représentants de proximité est purement optionnelle. Contrairement aux délégués du personnel, les unités devant disposer de représentants de proximité sont laissées à l’appréciation des négociateurs et ne sont plus fixées sur la base d’un seuil légal.
Quand ils sont mis en place, ils peuvent être conçus comme une « antenne relais » avec ce que le rapport norme une « fonction bilatérale » (p. 59). C’est-à-dire qu’il s’agit tant de faire remonter des informations au CSE que d’en faire redescendre auprès des salariés et de faire la promotion de l’action de celui-ci.
La constitution de ces relais au sein du CSE n’est d’ailleurs pas sans réintroduire de la complexité, voire le cloisonnement de certains sujets, que la réforme visait à supprimer.
L’étude relève un tiraillement entre proximité nécessaire à certaines missions et centralisation utile à d’autres, soit proximité du collectif de travail pour le représenter ou proximité de la direction pour influencer ces choix. Dans ce tiraillement, le découpage des établissements aboutit à des niveaux intermédiaires qui ne correspondent à aucun niveau de direction.
Dans les établissements, le niveau de représentation est par conséquent souvent plus large que celui des anciens délégués du personnel.
La CSSCT crée également des problèmes de coordination qui n’existaient pas avec le CHSCT. L’organisation de la navette entre le travail du CSE et celui de la CSSCT peut même ralentir la prise de décision. L’étude relève également un affaiblissement du traitement de ces questions du fait de l’intégration de cette prérogative dans une instance unique et du fait que la CSSCT ne soit qu’une commission et non un véritable comité comme l’était le CHSCT.
Concentration du travail représentatif sur quelques élus
Les missions du CSE se concentrent sur moins d’élus. Ce qui rend plus difficile pour eux de se concentrer sur le travail de représentation vis-à-vis des salariés. Les élus se retrouvent plus tournés vers la direction que vers les salariés qu’ils représentent.
Dans le panel de l’étude, le nombre de représentants a été divisé par deux suite au passage au CSE, notamment du fait de la suppression des délégués du personnel. Ces quelques élus concentrent les ressources institutionnelles du CSE leur garantissant une disponibilité quasi-permanente mais avec pour effet de d’être « séparés des contraintes de la production » (p. 88) et du collectif qu’ils représentent. A cela il faut ajouter l’exclusion des suppléants qui réduit davantage le nombre d’élus impliqués dans l’activité du CSE malgré la mutualisation possible des heures de délégation.
L’évaluation relève en outre que « les réunions se sont allongées et la charge de travail a augmenté sans compter que les temps de préparation du côté des élus se sont aussi allongés » (p. 106). L’intégration des réclamations au niveau central serait même source de conflictualité.
Il y a un changement de fonction dans le travail de représentation : « le rôle des élus est davantage d’éclairer les décisions de l’entreprise par leur délibération que de les éclairer par leur délibération que de les éclairer par leur connaissance des réalités de la production vécues par les salariés » (p. 89).
Cela participe d’une crise de légitimité des élus. Par le manque de proximité, ils perdent en capacité d’action pour contraindre les directions de proximité à agir et ne parviennent plus à être perçus par les salariés comme des ressources indispensables.
Dynamique de renégociation
Le CSE est aussi caractérisé par son caractère évolutif. Il l’est à raison de la durée déterminée des accords conclus qui appelle à une renégociation et à raison de clauses de révision dans les accords.
L’étude relève une tendance à la renégociation des équilibres (p. 118), notamment à travers les règlements intérieurs.
Les changements de périmètre ont en outre pu conduire à changer d’interlocuteurs et donc à faire perdre d’anciens repères. Ce changement d’interlocuteur s’opère tant du côté des directions que du côté des représentants des salariés.
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