L’employeur qui engage la responsabilité délictuelle d’un syndicat en raison d’actes illicites commis lors d’un mouvement de grève doit rapporter la preuve de la participation active de l’organisation, ou d’agissements positifs comme la collaboration délibéré à la réalisation des faits en cause.
TJ de Clermont-Ferrand du 06 novembre 2023, n°22/01976.
(Voir le le jugement en pièce jointe)
Dans cette affaire, les salariés d’une entreprise nationale de transports se mettaient en grève illimitée à compter du 22 septembre 2021 en raison de conditions de travail difficiles. Le conflit s’installe durant huit semaines devant les grilles du site de Combronde (63). Soutenus par les autres syndicats du département, les Unions locales et l’Union départementale de nombreux militants viennent en renfort des grévistes. La solidarité s’organise, chacun apporte à sa manière un soutien fraternel aux travailleurs en lutte.
L’employeur n’est pas en reste. Plusieurs huissiers sont postés aux alentours du braséro de palettes et de pneus qui gêne l’entrée des camions venant chargés ou déchargés de la marchandise.
Sur la base des exploits établis par l’officier ministeriel, une ordonnance en date du 25 octobre 2021 du Président du tribunal judiciaire ordonne « l’enlèvement des obstacles déposés devant les accès et la libération des entrées ». En effet, il est constaté des blocages de poids lourds devant un amas de palettes et des pneus incendiés, par des auteurs qui ne font pas tous partie du personnel de l’entreprise, mais qui portent des chasubles CGT. Selon le juge il convient d’ordonner la cessation, « des agissements illicites, qui ne correspondent pas à un exercice normal du droit de grève ».
Le mouvement prendra fin sans que l’entreprise n’ouvre de quelconque négociation, refusant même toute médiation avec les agents de l’état.
Une deuxième procédure est initiée par l’employeur qui pose la question de la responsabilité délictuelle de la CGT dans les dégradations constatées. Elle vise l’Union locale (ul) de Riom, l’Union départementale (ud) du Puy de dôme et une salariée qui a publié sur les réseaux sociaux des appels à soutenir le mouvement.
Rappelons que le principe de la responsabilité est posé par l’article 1240 du Code civil qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Il appartient à celui qui invoque cette responsabilité d’établir le fait générateur de responsabilité, le dommage dont il est demandé réparation, et le lien de causalité entre les deux.
La question posée est de savoir s’il est possible d’engager la responsabilité civile d’un syndicat qui participe à un mouvement collectif. Dans l’affaire qui nous intéresse, cette interrogation retenait toute l’attention des parties et, de cette confrontation nourrie naissait une décision parfaitement conforme à la jurisprudence antérieure. Bref, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand n’a rien inventé. Pour autant, il est bon de revenir sur les principes applicables et faire œuvre de pédagogie afin que chacun sache à quoi s’en tenir en la matière.
La première hypothèse vise la situation suivante : lors d’un conflit, des personnes identifiées CGT participant à des actes qualifiés par la suite d’illicite, engagent-elles la responsabilité civile d’un syndicat ? Dans ce cas, l’employeur peut-il demander des dommages et intérêts au syndicat pour des dégâts causés par les adhérents/participants ?
Confrontée à un mouvement collectif, la société EDF/GDF demandait la condamnation de l’organisation syndicale à réparer le préjudice résultant des coupures de gaz et d’électricité commis par les salariés.
Le syndicat reconnaissait avoir appelé les agents grévistes à effectuer diverses actions, dont des coupures sur les réseaux de gaz et d’électricité mais les arrêts en question avaient été effectués de nuit et en dehors des périodes de grève de telle sorte qu’elles sortaient des directives syndicales. Les juges rejetaient alors toute responsabilité du syndicat dans les actes relevés.
Il ne s’agit donc pas seulement de démontrer que des syndicalistes sont en cause pour engager cette responsabilité, encore faut-il relier précisément les actes illicites à des directives ou incitation du syndicat, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Cour de Cassation, Chambre sociale, du 14 novembre 2007, 06-14.074, Inédit
La seconde hypothèse vise la situation ou des actes jugés d’illicites sont effectués alors même que le premier responsable de l’organisation syndicale est présent sur les lieux.
Une Union départementale avait été condamnée à de 100 000 € de dédommagement au motif qu’un véhicule obstruait l’entrée de l’entreprise en présence d’un groupe d’environ dix personnes composé de salariés grévistes et de M. X…, secrétaire de l’Union départementale CGT. Cet obstacle empêchait, selon l’employeur, l’entrée du personnel non gréviste durant tout le conflit.
La Cour d’appel considérait que la présence permanente et effective du secrétaire de l’UD CGT sur le piquet de grève témoignait de sa participation active au mouvement. En effet, il ne pouvait ignorer le caractère illicite des actes commis puisque, par son assiduité sur les lieux, il suivait d’un bout à l’autre l’évolution des évènements. Par ailleurs, il avait représenté les grévistes devant le juge des référés. Ainsi, en ayant une parfaite connaissance des modalités de déroulement du mouvement de grève et des décisions de justice rendues il a, en agissant de concert avec ceux qui ont commis des actes illicites, participé concrètement et délibérément à la résistance opposée aux ordonnances d’expulsion.
Mais la Cour de Cassation veille au grain et ne partage pas la vision des juges de second degré.
D’abord, la présence de son premier dirigeant est insusceptible de caractériser une faute de l’organisation syndicale en l’absence de tout agissement positif de celui-ci, de toute incitation active à commettre un acte illicite et de toute participation délibérée à un tel acte. De surcroit, même s’il est sur les lieux lors de l’obstruction des locaux, cela ne démontre pas un agissement fautif du syndicat.
Cour de Cassation, Chambre sociale, du 29 janvier 2003, 00-22.290, Inédit
Cependant, la responsabilité délictuelle d’un syndicat peut être mise en œuvre lorsqu’il « a effectivement participé à des agissements constitutifs d’infractions pénales ou à des faits ne pouvant se rattacher à l’exercice normal du droit de grève ».
Ainsi, dans une affaire jugée en 2018, la responsabilité délictuelle a été retenu à l’encontre d’un syndicat en raison du comportement de son président « qui, par la teneur de ses propos, a pris en charge l’organisation logistique des opérations et donné les instructions d’organisation de la manifestation à tous les participants présents au rassemblement ; qu’il a donné dans ce cadre les directives “pour garer et ranger les pneus chez Lactalis” ; qu’il a, ensuite, fixé un nouveau rendez-vous aux manifestants à un rond-point d’où ils sont alors partis vers l’usine et qu’il était sur place lorsque ces pneus ont été embrasés »
Pour la cour d’appel, il existait bien un lien entre les directives du dirigeant et les dégradations commises, mettant en cause le syndicat. Les juges qualifient ces instructions de provocations directes à commettre des actes illicites dommageables au moyen de pneus (article 121-7 du Code pénal), faute conduisant à la reconnaissance de la responsabilité civile du syndicat au titre de l’ancien article 1382 du Code civil.
Dans cette histoire, les magistrats ont jugé qu’en sa qualité de président du syndicat, il est l’organe habilité à engager le syndicat et que son action est à l’origine des faits illicites constatés.
Si elle n’a pas condamné le dirigeant solidairement avec le syndicat comme il était demandé, l’organisation a malgré tout à dû verser 70 000 € de dommages et intérêts à l’entreprise.
Cour de cassation, Chambre mixte, 30 novembre 2018, 17-16.047, Publié au bulletin
En 2016, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’un syndicat lourdement condamné en appel pour avoir incité, dans le cadre d’un mouvement de protestation, les salariés à ne plus exécuter la totalité de leur prestation de travail.
Sur fond de désaccord lors de négociations collectives, le syndicat appelait les agents, par tracts successifs, à ne plus remplir ni signer les divers bons de travail auxquels ils étaient astreints. Ces bons, prévus par plusieurs textes règlementaires, identifient les personnes qui interviennent sur les équipements aéronautiques.
Air France saisissait le tribunal de grande instance aux fins de faire juger la grève illicite et, en conséquence, de voir engager la responsabilité du syndicat en raison de la perte d’heures productives et pour le recours à la sous-traitance.
Pour les juges, la grève se définit comme une cessation collective et concertée de travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles. Elle ne peut être limitée à une obligation particulière du contrat de travail comme en l’espèce par l’injonction syndicale de ne plus signer les bons règlementaires. Par ailleurs, ils font défense au syndicat d’appeler, sous quelque forme que ce soit, les salariés de la société Air France à refuser de signer les bons relevant de leurs compétences, sous astreinte de 7 000 euros par infraction constatée.
Dans ce contexte, le doute quant à l’issue de la procédure contentieuse s’envolait. Pour reprendre le moyen du pourvoi « lorsqu’un mouvement ne constitue pas l’exercice du droit de grève, le fait pour un syndicat d’en avoir été l’instigateur, le promoteur ou l’organisateur constitue une faute engageant sa responsabilité civile sur le fondement de l’article 1382 du code civil ».
Pour la haute Cour, alors que les organisateurs ne contestaient pas être les auteurs des tracts litigieux, en appelant à une généralisation du mouvement et en incitant les salariés à l’accomplissement de ces actes fautifs le syndicat avait engagé sa responsabilité à l’égard de l’employeur.
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 11 juillet 2016, 14-14.226, Publié au bulletin
A Combronde dans le Puy de Dôme, l’employeur tentait de relier les actes qualifiés d’illicites relevés par l’ordonnance du 25 octobre 2023 à l’UL de Riom ou/et l’UD de Clermont-Ferrand.
Mais le juge ne s’est pas laissé berner.
Dans un premier temps, il va reprendre tous les éléments de preuves versés (tracts, courriers, constats d’huissier, réseaux sociaux…) et vérifier si L’UL et l’UD ont incité par leurs écrits à la commission des faits incriminés. Or, selon sa motivation, « s’il est manifeste que les défenderesses ont apporté, sans aucune ambiguïté, un soutien au mouvement de grève par la communication effectuée sur les réseaux sociaux, ces messages ne sauraient toutefois caractériser l’existence d’actes positifs en lien avec les agissements illicites observés ».
Ensuite, le tribunal va contrôler que les faits en cause ont été, ou non, commis par le syndicat. Or, comme il le relève, il est peu aisé de déterminer si l’UL et l’UD ont eu un quelconque rôle dans l’organisation et la commission des faits. En effet, « aucun élément ne permet d’identifier à quelle fédération ou union appartiennent les manifestants, puisqu’il est établi que le syndicat CGT comporte en son sein plusieurs unions locales et départementales et plusieurs fédération ».
Et de conclure qu’aucun élément ne permet de considérer que l’UD CGT Puy de Dôme et l’UL CGT de Riom ont de quelque façon que ce soit, participé l’organisation du mouvement social et aux abus qui ont été commis ».
Pour entrer en voie de condamnation encore fallait-il que la société DACHSER démontre que ces syndicats ont activement participé aux agissements crtitiqués, par exemple en intervenant directement, en fournissant des instructions ou en prenant des initiatives particulières.
Or, les différentes communications de l’UL et de de L’UD consistait en un soutien aux grévistes et ne permettent pas de considérer que les actes litigieux auraient été initiés ou réalisés par eux.
Bref, soutenir des grévistes, n’est pas (encore ?) répréhensible.
Tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand du 6 novembre 2023
Dominique » HOLLE
DLAJ CGT 63
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