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Passage en CSE depuis 2018 – Un bilan bien négatif

L’année 2022 est celle qui sera le déclencheur du premier renouvellement massif des nouvelles instances du personnel que sont les Comités Sociaux et Économiques (CSE). Une étude de l’IFOP, commandée par le cabinet SYNDEX, présente un état des lieux de cette première mandature.

Le moment est idéal de revoir les pratiques, voire de renégocier parfois des accords de mise en place des CSE négociés dans les entreprises à partir de 2017. Quelles sont les conclusions de cette étude qui vous permettront de prendre appui pour de nouvelles dispositions conventionnelles de représentation des salariés et modifier le mode de fonctionnement de l’instance ? C’est ce que nous allons voir dans le dossier de cette semaine.

Contexte et climat général

Le contexte de crises (sanitaire, guerre en Ukraine), que nous vivons depuis plus de deux ans maintenant a un impact sur le climat général au sein des entreprises.

Ainsi, malgré cela se sont 75% des salariés et de leurs représentants qui estiment que la situation économique de leur entreprise est bonne, avec notamment 65% dans les activités de commerce, et 86% dans le secteur des services.

Les différentes aides d’État pour soutenir l’activité économique pendant la période de pandémie COVID-19 ont produit leur effet et permis le maintien d’une activité économique assez soutenu. Nous avons pu voir dans d’autres dossiers de la semaine, que même la situation de l’emploi n’a pas été la catastrophe attendue et annoncée en mars 2020. Au contraire, le taux d’activité est resté soutenu, ce qui a permis de maintenir le niveau d’emplois, et même de nouvelle créations d’emplois.

Cependant cet optimisme marqué est contre balancé par un état d’esprit majoritairement négatif et concrétisé par des signes de fatigue et d’inquiétudes largement répandus.

Les représentants du personnel sont les plus sensibles à cette tendance avec plus des deux tiers qui se disent inquiets et fatigués quant un tiers restent attentistes face à l’avenir.

Leur inquiétudes notamment sont centrées sur les négociations à venir sur les conditions de travail, et plus particulièrement celles concernant les augmentations salariales. Ils craignent en effet, de la part de leurs directions, l’argumentation plus insistante encore cette année, des efforts nécessaires à fournir et du manque de résultats financiers…

Cela nous amène bien sur, à l’appréciation des dirigeants d’entreprises sur la situation actuelle, qui même s’ils sont relativement positifs ressortent « fatigués » et « éprouvés » de la période, et face aux risquent sociaux poussent pour des améliorations en matière de qualité de vie au travail (QVT).

Connaissance et image du CSE

Dans ce contexte et climat général, il est donc important d’apprécier le niveau de connaissance et d’adhésion au CSE par les salariés. Mais, tout comme le Comité d’Entreprise en son temps, les résultats restent assez mitigés.

Ce ne sont en effet, et nous pouvons le regretter, que 54% des salariés qui disent avoir une bonne ou très bonne connaissance du CSE, avec une légère prédominance des les catégories supérieures (ingénieurs, cadres et techniciens).

Et pourtant, même si la plupart des caractéristiques du CSE semblent bien connues de la part des salariés, que ce soit sur son rôle de représentation des salariés, de son action dans l’amélioration des conditions de travail et du contrôle de la situation économique de l’entreprise, ils sont 81% à déclarer que les membres du CSE sont désignés par la Direction de l’entreprise et 61% pensent que le CSE est une organisation syndicale.

Le sentiment que les représentants au CSE sont désignés par la direction peut être expliqué, entre autre, part la faible représentation des syndicats dans les entreprises de petites ou de moyenne tailles. Les listes présentées « sans étiquettes » sont bien souvent proches des équipes dirigeantes, alors que dans les entreprises plus grandes, les syndicats font souvent « la pluie et le beau temps » des élections et infuse une forme de confusion entre CSE et syndicat.

Ces deux derniers chiffres sont étonnants particulièrement quand 61% déclarent avoir voté lors des dernières élections professionnelles et que plus de 55% se disent bien ou très bien informés sur le CSE.

Nous retrouvons d’ailleurs les mêmes clivages de participation au scrutin que dans les élections citoyennes. Dans l’entreprise, ce sont les salariés entre 40 et 49 ans qui votent le plus (74%) et plus particulièrement ceux des catégories dites supérieurs (68%), alors que les jeunes entre 18 et 29 ans ne participent qu’à 33%.

Mais, l’image du CSE est positive pour plus des deux tiers des salariés. Ce qui est paradoxal, quand, en même temps, ils sont partagés sur l’impact de l’apparition des CSE sur les avancées sociales possibles et sur la qualité du dialogue social, une moitié étant très positive et l’autre très négative.

C’est là que peut se poser la question de l’action d’information des représentants du personnel et de leurs organisations syndicales, lorsqu’elles existent, dans l’entreprise, afin de mieux faire connaître leurs actions, leurs rôles et leur activité dans le mandat.

Etat des lieux du dialogue social

Nous venons de le voir, l’étude de l’IFOP indique un partage égal entre les salariés sur la qualité du dialogue social après l’apparition des CSE dans leurs entreprises.

Les représentants du personnel se montrent bien plus critiques sur ce point. Ils sont plus de la moitié (56%) à considérer que le dialogue social s’est dégradé dans leurs entreprises depuis l’arrivée des CSE, pour seulement 12% qui pensent le contraire. Ces appréciations sont très différentes selon le contexte de l’entreprise.

La qualité du dialogue social a en effet plusieurs déterminants majeurs.

  • La santé économique de l’entreprise : Le dialogue social se trouve plus souvent pacifié dans les entreprises en croissance ou ne rencontrant pas de problèmes économiques majeurs, alors qu’il se détériore dans celles qui sont touchées fortement par les crises.
  • La taille et la nature de l’entreprise : Le dialogue social est parfois plus compliqué dans les grandes entreprises ou les filiales dans lesquelles le top management ne semble ni pérenne ni autonome vis à vis du siège. A l’inverse, le dialogue social dans les entreprises de petites tailles semble plus fluide, notamment parce qu’il se construit dans un rapport de proximité élus dirigeants, un rapport plus quotidien et donc moins formel.
  • Le facteur humain : La qualité des relations interpersonnelles joue également beaucoup, mais elle se présente très souvent comme une résultante du sentiment de proximité dans les petites entreprises et de la situation économique de l’entreprise qui peut avoir tendance, quand elle est mauvaise, à crisper les relations.

Perceptions autour du passage en CSE

Dans l’ensemble des entreprises, le passage en CSE, qui a constitué pour rappel en la fusion des instances de représentation du personnel existantes alors (Comité d’Entreprise, Comité Hygiène Santé Sécurité et Conditions de Travail, Délégués du Personnel), a généré alors de fortes inquiétudes et doutes.

Pour les représentants du personnel cela n’a pas vraiment changé. Ils sont toujours aussi mitigés quant à leur état d’esprit vis-à-vis du CSE, même si les inquiétudes sont décroissantes. Plus de la moitié se déclarent motivés et déterminés dans leur action, alors que les autres, qui représentent près de 47% se disent déçus et encore inquiets.

D’ailleurs le degré d’inquiétude (56%) qu’ils émettent dépend grandement de la situation économique de l’entreprise, de l’ancienneté du passage en CSE et de leur ancienneté personnelle dans le mandat.

  • 68% de ceux dont l’entreprise est en mauvaise situation économique
  • 62% dont le passage en CSE date de moins d’un an
  • 57% qui assurent un premier mandat de représentant du personnel.

Ce qui est notable, c’est que la perception que les représentants du personnel ont de l’état d’esprit de leur direction est en forte dégradation depuis le passage en CSE.

D’après eux, leurs directions auraient perdu en satisfaction vis-à-vis du CSE par rapport au CE et les relations seraient plus tendues que les années précédentes. Cela ne serait il pas la résultante de la pauvreté de la qualité des négociations des accords de mise en place des CSE ? Les directions se sont souvent contentés de retranscrire les dispositions légales et ne pas apporter l’inventivité que les textes soumis à la négociation leur permettaient.

Le risque est sur l’avenir de l’instance et les représentants du personnel interrogés le soulignent dans cette étude.

Leurs inquiétudes sont multiples mais ils restent plus confiants sur les risques d’une nouvelle diminution de leurs temps d’activité d’élus et des moyens qui leurs sont alloués, même si le manque de moyens est toujours marquant.

Dans la totalité des cas, la fusion des instances s’est traduite par une diminution des moyens avec en particulier, une baisse des heures de délégation et un moindre nombre d’élus au total, parallèlement à l’émergence de nouveaux facteurs de complexification du travail des élus tels que la transversalité des sujets évoqués en réunion qui demande beaucoup plus de préparation, mais aussi une expertise multi-thématiques de la part des RP, des réunions moins fréquentes, et l’absence des suppléants aux réunions du CSE.

Quels sont les grands inconvénients détectés dans la pratique ?

Le premier point négatif relevé est un réel problème d’organisation qui se pose au niveau des réunions devenues plus longues et plus difficiles à préparer alors que l’ensemble des sujets n’y sont que très rarement traités faute de temps. D’autre part, leur fréquence moins importantes rend difficile le suivi des sujets et entraîne mécaniquement une démobilisation des élus. Ces problèmes d’organisation sont accentués par l’absence des suppléants aux réunions de manière régulière et donc rend quasiment impossible une transmission efficace des informations dans l’objectif d’une suppléance réelle des titulaires absents.

Le deuxième inconvénient rencontré est une sensation, qui se veut réalité, de perte d’expertise, notamment en ce qui concerne les questions primordiales de santé, hygiène, sécurité et conditions de travail. La fusion du CHSCT dans l’instance CSE, remplacé par une simple commission Santé Sécurité et Conditions de travail, sans réel rôle ni pouvoir d’agir, a fait perdre cette spécificité d’expertise des anciens membres des CHSCT. La disparition de cette expertise et de ce rôle sont de réels inconvénients pour le maintien d’une qualité des conditions de travail assurant la préservation de la santé et de la sécurité des salariés. La baisse du nombre d’élus et des heures de délégations, chiffrée à 30% de perte de moyens par rapport aux anciennes instances, rend plus difficile le travail d’expertise dans les différents domaines de prérogatives des CSE (Santé, sécurité, économique, social, activités sociales et culturelles, etc…).

Le troisième inconvénient, qui était déjà dénoncé par les organisations syndicales lors de la présentation du projet d’ordonnance du gouvernement en 2017, c’est la perte de proximité des élus avec les salariés et le terrain du travail. Le projet avait un objectif de professionnalisation de la fonction de représentation du personnel, accaparant les élus dans des réunions plénières et de commissions, trop souvent interminables et sans contact avec le « travail », avec le terrain. C’est chose avérée maintenant. Les élus sont coupés du terrain, et même lorsqu’ils essaient d’y retourner, c’est au détriment souvent de leur efficacité de représentation et de connaissance des sujets imposés par leurs directions. Ce rôle anciennement assuré par les délégués du personnel est aujourd’hui délaissé par manque de temps, de disponibilité, et de force de terrain. Seules les salariés des grandes entreprises où le syndicalisme est très présent avec de nombreux représentants en place dans les équipes, peuvent encore bénéficier d’une représentation de terrain. Les organisations syndicales doivent absolument revoir la négociation de mise en place des fameux représentants de proximité, dont l’existence n’est assurée que par la négociation collective. L’étude de l’IFOP pour le cabinet SYNDEX relève que seuls 38% des entreprises ont mis en place des représentants de proximité en lieu et place des anciens délégués du personnel…

Enfin le dernier inconvénient mis en lumière est la crise des vocations conséquence de la limitation dans le temps du nombre de mandats successifs et la perte de protection des anciens élus face au licenciement. Comment trouver de nouvelles motivations face à ces risques ?

Quel bilan tirer du passage en CSE ?

A l’heure de tirer un bilan du passage en CSE, il est clair que pour les représentants du personnel les grands perdants de cette opération sont les salariés, eux-mêmes et les organisations syndicales, alors que les grands gagnants sont les directions pour près de 80% des personnes interrogées ! Mai cela est-il une surprise ? Pour beaucoup d’entre nous qui avions prédit ces dérives de fonctionnement et de pertes de moyens et donc de pouvoir d’agir, le résultat de cette étude n’est qu’une confirmation.

Et l’avenir ne présage pas d’amélioration, bien au contraire, 55% des représentants du personnel actuels sont persuadés que le dialogue social va continuer à se détériorer dans cette configuration CSE.

La crise sanitaire que nous venons de vivre et qui peut être n’est pas encore terminée, a permis aux directions d’entreprise de dégrader encore plus le dialogue social, à la faveur de possibilité qui lui ont été offertes par les mesures gouvernementales dans un but de protection des salariés dans un premier temps, mais qui ne se justifient plus maintenant. Ainsi, la limitation des possibilités de déplacements et de circulation des représentants du personnel dans l’entreprise ou sur les sites éloignés, sites clients et fournisseurs lorsque des salariés de leur propre entreprise y interviennent, s’est perpétuée dans un grand nombre d’entreprises. En ce qui concerne les CSE et leurs réunions, la généralisation des réunions en visioconférence se sont propagées même aux réunions de négociations d’accord collectif… Cette distanciation forcée n’est pas pour une amélioration du dialogue social et du dialogue tout court.

Enfin, la généralisation, dans un bon nombre de secteurs, du télétravail a permis aux employeurs d’éloigner encore un peu plus les salariés de leurs représentants, rendant le travail de ces derniers quasiment impossible.

Nous pouvons qualifier donc ce bilan du passage en CSE, conjugué à la crise sanitaire, de globalement négatif pour le rôle de représentant du personnel, et pour les conditions de travail de l’ensemble des salariés.

Charge maintenant, à l’abord de ce nouveau quinquennat, aux organisations syndicales représentatives nationales de profiter de cette période de renouvellement des instances CSE dans la majorité des entreprises, et de mise en place des Comité Sociaux et Administratif dans la fonction publique cette année, de remettre sur la table des négociations la question des droits et des moyens des représentants du personnel, et pourquoi pas, rêvons toujours, un retour à des instances plus responsables et efficaces…

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