L’encre de la signature de l’ANI était à peine sèche, qu’a été promulguée la loi relative à la santé au travail. Celle-ci a en effet été votée le mercredi 17 février en première lecture à l’assemblée nationale. Une majorité de député (à l’exception de ceux des groupes GDR, FI et socialistes) a voté pour ce texte qui sera débattu au Sénat au printemps prochain. Nul doute que comme après son passage devant les députés-es cette loi restera inefficace en termes de prévention de la santé au travail et pire, engendrera des reculs quant à la protection de la santé des travailleurs-ses.
Cette loi, comme il est mentionné dans l’exposé des motifs, a deux objectifs principaux : revenir sur le « système de réparation » (qui selon le gouvernement « a vu ses limites »), et « répondre à l’allongement de la vie au travail » c’est-à-dire répondre à une réforme des retraites toujours pas abandonnée.
Article après article la CGT ne peut que déplorer l’absence totale d’une prise en compte des réalités vécues par les travailleurs-ses et les impacts sur leur santé. Des sujets tels que de la pénibilité, la dégradation des conditions de travail ou encore de la multiplication des licenciements pour inaptitude au poste sont les grands absents de l’ANI comme de la loi.
Au final ce texte nous fait craindre de lourds disfonctionnements dans le traitement de cette question fondamentale de la santé au travail.
Déresponsabilisation des employeurs…
De citer l’article 1 qui transforme les Services de Santé au Travail en Service de Prévention en Santé au Travail (SPST) et l’article 4, leur confiant une mission de prévention. Y-aurait-il à terme la volonté de la majorité gouvernementale de voir disparaitre la mission de prévention des CARSAT ? Cela pourrait ainsi satisfaire un patronat enclin à voir disparaitre un outil indépendant de prévention des risques professionnels en lien avec la réparation.
Si tel était le cas, ce texte remettrait évidemment en cause ce qui constitue le fondement de la Sécurité Sociale dans sa prise en charge des accidents de travail et des maladie professionnelles, à savoir le lien entre une politique de réparation, définie par le code de la Sécurité Sociale, et sa capacité d’agir sur les choix des entreprises pour imposer des mesures de prévention des risques. Pour rappel, cette disposition était la mesure phare du rapport Lecocq qui avançait que pour inciter le patronat à développer des mesures de prévention il ne devait plus être « stressé » par les services de la sécurité sociale qui l’accompagnait tout en le contrôlant. Nous devions dans ce rapport faire confiance à des entreprises qui deviendraient « vertueuses » du fait de cette absence de contrôle.
Ce sujet nous parait être le fondement de la déresponsabilisation des employeurs ; il est en lien avec l’article 3 portant la création du « Passeport Prévention » que chaque salarié-e devra fournir et le désignera comme responsable de sa santé et de sa sécurité au travail.
Absence de vraies dispositions en faveur de la prévention…
Même si les SST prennent un P pour prévention, elles n’en n’auront que le titre à la lecture de cette proposition de loi qui n’aborde pas du tout la prévention primaire. Pour le gouvernement la prévention concerne essentiellement la désinsertion professionnelle, là où les problématiques de santé sont déjà présentes avec pour conséquence des inaptitudes au poste de travail pour les salariés-es.
Ainsi les Services de Santé au Travail vont devoir mettre en place des cellules de prévention de la désertion professionnelle article 8, celles-ci sont aujourd’hui organisées au sein de la Sécurité Sociale garante d’une indépendance vis-à-vis du patronat. Cette mesure est, une fois de plus, loin d’être neutre.
Remise en cause de la visite de pré-reprise…
De la même manière cette loi remet en cause dans l’article 18, la visite de pré-reprise avec le médecin du travail, pourtant si importante dans la prévention des inaptitudes, en instaurant un RDV de liaison entre le salarié et l’employeur. Ce « rdv de liaison », en amont de toute rencontre avec le même médecin du travail, reste à la main du salarié grâce au débat parlementaire. Il n’en reste pas moins qu’il pourra être source de pression pour ce dernier déjà fragilisé par son état de santé. Ce dispositif risque à terme de faciliter encore plus les licenciements pour inaptitude.
À aucun moment, par contre, la loi propose de véritables mesures qui obligeraient l’employeur à trouver des solutions d’aménagement du poste de travail ou de reclassement dans l’entreprise pour le salarié. Au contraire elle assouplit le dispositif intitulé « projet de transition professionnelle » qui doit faciliter le reclassement en externe. Cette mesure aurait-elle là encore comme objectif de faciliter les licenciements pour inaptitude ?
Disparition à terme du médecin du travail…
Nous constatons par ailleurs que de nombreuses interventions de médecins du travail et de médecins généralistes, dénoncent avec force ce texte et font part de leurs inquiétudes pour l’avenir de la protection des salariés-es et surtout nous renforcent dans nos positions.
En effet, parler des médecins du travail, c’est parler du décloisonnent de la santé publique et de la santé au travail voulu par les porteurs de cette proposition de loi. Visé dans l’article 21, il est en effet décidé de créer un Médecin Praticien Correspondant (MPC) pouvant intervenir en santé au travail, sans connaissance du travail réel et des méfaits de son organisation. Dans cette même logique la loi permet dans les articles 23, et 24 une délégation des fonctions et missions du médecin du travail aux infirmiers-ères. Au final, le travailleur ne rencontrera plus le médecin du travail.
Pour pallier au manque de médecins du travail, la représentation nationale et les signataires de l’ANI se confortent dans une gestion de la crise démographique touchant la médecine du travail plutôt que de renforcer l’attrait de cette spécialité auprès des étudiants.
C’est également dans une logique de rationalisation que l’article 8 de la proposition de loi instaure
la mise en place d’une certification des SPST par un organisme privé.
Cette certification corrélée à la mise en place d’offres de service va rimer comme partout ailleurs pour les salariés des SPST, avec rentabilité, performance et perte du sens au travail. Surtout elle remet en cause le principe de mission de services publics qui était attribué à ces structures. La santé des salariés et leurs conditions de travail ne peuvent et ne doivent pas être considérées comme une marchandise soumise aux règles de rentabilité.
En lien avec le glissement vers la médecine de ville il faut ajouter l’accès du Dossier Médical Partagé (DMP) au médecin du travail avec le risque – que la CGT dénonce depuis l’ouverture des négociations de l’ANI – de voir apparaitre un certain nombre de discriminations à l’embauche et de voir les travailleurs-ses ne plus faire part de leur état de santé à leur médecin traitant par crainte de l’utilisation de leurs données en santé à des fins de recrutement.
En parallèle avec les cellules de désinsertion professionnelles, nous pouvons identifier une volonté
de transformer les prérogatives de la médecine du travail vers des missions de tri de main d’œuvre.
La liste des effets négatifs de ce texte est longue, il faudra aussi suivre par exemple la réorganisation des structures en lien avec la santé au travail. Les articles 25 à 27 modifient ainsi l’organisation et les missions des CROCT et prévoient à terme une réorganisation de l’ANACT et des ARACT.
Le Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels DUERP.
Le DUER, Document Unique d’Evaluation des Risques reste un document de référence même si celui-ci est souvent mal utilisé ou pas utilisé du tout. Il n’en reste pas moins qu’une évolution notable apparait. L’article 2 crée un archivage du DUER au-delà de l’entreprise, dans les SST pour une durée minimum de quarante ans et accessible aux travailleurs-ses. Est-ce que cela suffira à organiser une meilleure traçabilité des expositions aux risques professionnels ? Encore une fois il faudra être vigilant !
Sur ce point, les exigences de la CGT dépassaient cet archivage dans les SST que nous considérons toujours à la main des employeurs, nous avions insisté sur le fait que la gestion de ce document devait revenir aux CARSAT, pour l’indépendance et la sécurisation de la traçabilité des expositions aux risques professionnels.
Mais la liste des méfaits de cette proposition de loi n’est pas exhaustive, nous continuerons d’observer l’évolution du texte sur ces points cruciaux. Le passage du texte devant le Sénat risque d’engendrer de nouveaux reculs et d’affaiblir si c’est encore possible la prévention en santé au travail.
La CGT réaffirme combien la santé des travailleurs-ses est au cœur de ses revendications, nous demandons :
- Une vraie prise en compte de la prévention primaire des risques professionnels ;
- De nouveaux droits d’expression et d’intervention des travailleurs-ses quelle que soit la taille de l’entreprise ;
- Un renforcement de la médecine du travail par une amélioration de la filière de formation permettant un recrutement massif ;
- Une intégration des Services de Santé au Travail Interprofessionnels et Autonomes (SSTI-A) à la Sécurité Sociale. A défaut un statut protecteur de tous les acteurs de ces services ;
- Un renforcement et une sanctuarisation des moyens humains et matériels des structures liées à la prévention des risques (INRS, ANACT-ARACT, Inspection du travail…) ;
- La mise en place de CHSCT avec des moyens renforcés et couvrant tous les travailleurs- ses y compris des TPE ;
- La création de moyens pour tous les mandatés-es intervenant dans les conseils d’administration et les organismes de prévention en santé au travail ;
Réagir
Il faut se connecter pour réagir.
Créez un compte ! C'est rapide et gratuit.