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(1/5) Mise en place des CSE : où en est-on ?

En décembre dernier France Stratégie publiait son rapport d’évaluation relatif aux ordonnances du 22 septembre 2017, dites ordonnances Macron, en particulier sur la mise en place du comité social et économique. Ce rapport s’appuyait sur quatre appels à projets de recherche également mis en ligne. Nous vous proposons une recension de ces cinq rapports pour mieux comprendre où nous en sommes de cette nouvelle instance.

 

Dès l’introduction, le rapport de France Stratégie fait preuve d’un parti pris idéologique. On y lit que face à la crise « les procédures et le formalisme ont été relégués au profit de solutions » (p. 6). Curieuse opposition que celle faite entre les  solutions d’une part et les procédures qui permettent de les trouver d’autre part. On sait donc que nos évaluateurs n’ont pas une démarche neutre et encore moins scientifique qui tendrait à reconnaître les procédures et le formalisme comme le gage de la découverte d’une solution adaptée. Cette posture n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle exprimée par le patronat, notamment exprimée par la CPME. On ne sera cependant pas étonné puisque ces lignes sont co écrites par un vice-président du MEDEF.

 

Le reste du rapport est lui marqué par le relativisme de ses propres résultats. Il est régulièrement rappelé la difficulté de la démarche d’évaluation et le temps relativement court qui n’aurait pas permis une appropriation des textes nouveaux. Si cela s’entend, on comprend cette prudence au regard des résultats du rapport qui ne semblent pas totalement correspondre à la posture idéologique du comité d’évaluation. Voyons donc ce que cette évaluation révèle.

 

Moins de réunions, mais plus longues

 

L’un des objectifs des ordonnances était de « rationaliser », comprendre : réduire les coûts. Cet objectif semble atteint. Il était également justifié par une organisation des anciennes instances trop formelle et cloisonnée qui conduisait à traiter plusieurs fois la même questions dans différentes instances.

 

La rationalisation se fait par la réduction du nombre de réunions, en particulier pour éviter les redondances quant à la consultation de plusieurs instances sur un même sujet. Cet objet est atteint pour les directions d’après le rapport, mais pose, pour les élus, le problème des moyens disponibles. 

 

Cette réduction s’est faite aussi par la diminution du nombre d’instances et d’élus donc de salariés dégagés de la production. La stricte comparaison entre le nombre d’élus dans les anciennes instances et les dispositions supplétives relatives à la nouvelle instance laissait présager cette diminution. Elle avait précédemment été évaluée à 33% par le ministère du travail dans une communication datant du 31 octobre 2018. Le rapport renvoie à l’enquête REPONSE de 2023 pour pouvoir arrêter des données fiables à ce sujet. Au plan de la logique : entre la diminution du nombre d’instances, notamment du fait de la décentralisation, et la diminution du nombre d’élus prévue par les dispositions supplétives, on voit mal comment ce nombre pourrait être resté stable et encore moins comment il aurait pu progresser. Le rapport précise par ailleurs que les moyens supplémentaires sont souvent en termes d’heures de délégation pour des missions spécifiques et non par l’augmentation du nombre d’élus pour assurer un bon fonctionnement de l’instance. Il est par ailleurs précisé que la réduction du nombre d’élus par les dispositions supplétives du code du travail a souvent pesé dans les négociations. Mais alors qu’il y a moins de réunions, celles qui demeurent sont plus longues et plus chargées.

 

Une fragilisation des élus

 

Les élus ont été fragilisés par le caractère transversal, c’est-à-dire abordant tous les thèmes afin de les lier les uns aux autres, du CSE. Alors qu’avant il était possible de se spécialiser en fonction de l’instance dans laquelle on était élu, il faut désormais traiter de tous les sujets. Cela demande de la part des élus plus de temps et plus d’engagement pour acquérir les connaissances nécessaires à l’exercice de leurs missions et la maîtrise des différents sujets. Le rapport indique cependant que le caractère transversal de l’instance est « de façon théorique perçu plutôt comme un apport par les différents acteurs » (p. 50). Mais de façon pratique ?

 

Il semblerait que le poids des élus soit affaibli. Ce nouveau fonctionnement leur demande plus d’investissement et les confronte à un manque d’expertise. Cette dernière problématique n’est d’ailleurs pas propre aux élus car il n’est pas rare que du côté de la direction il y ait également une spécialisation des représentants de l’employeur (services rh, services comptables et financiers, services juridiques, managers, etc.). Cela conduit à une technicisation du mandat représentatif.

 

Il est également relevé des difficultés d’utilisation des BDES « quand elles sont disponibles et alimentées » (p. 53). Tant et si bien que dans les PME les questions économiques sont difficiles à traiter faute d’information.

 

La transversalité aurait induit une concentration des missions et des moyens autour de quelques élus, en particulier du secrétaire. Cela demande aux élus de passer plus de temps dans les instances, d’où une professionnalisation, et par conséquent de passer moins de temps auprès des salariés. Ce qui questionne quant à l’exercice d’un mandat représentatif. Il y aurait « une tension entre la nécessité d’assurer au mieux son mandat de représentation et la nécessité d’assurer son travail dans des conditions acceptables par sa hiérarchie, par ses collègues et par soi-même » (p. 56).

 

Le rapport conclut à un « besoin d’accompagnement et de formation des acteurs » (p.17, rappelé pp. 68-69) sans questionner la pertinence de la logique transversale, l’éloignement des élus de leurs collectifs de travail et ce que cela implique dans l’exercice d’un mandat représentatif. 

 

Baisse de la couverture en instance SSCT et du traitement de ces questions

 

Le rapport fait état d’une baisse de la couverture globale des salariés par une instance dédiée aux questions de santé, de sécurité et de conditions de travail. A la fin de l’année 2019, trois quart des entreprises d’au moins 300 salariés avaient mis en place une CSSCT alors que celle-ci est obligatoire pour ce seuil. 

 

La baisse de couverture en instances SSCT était facile à anticiper puisque le CHSCT était obligatoire dans les entreprises d’au moins 50 salariés tandis que la CSSCT n’est obligatoire qu’à partir de 300 salariés. Au-delà de cette baisse de couverture en instance SSCT, il semblerait qu’il y ait une baisse de couverture d’instances de manière générale. De 44% des entreprises employant 81% des salariés couverts par l’obligation de mise en place d’une institution représentative du personnel en 2018, nous sommes passés à 41% des entreprises employant 68% des salariés en 2019. Soit une diminution respective de 3 et 13 points en termes de couverture. Quant à la conversion des instances des anciennes vers la nouvelle, elle était seulement de 72,6% pour les entreprises et de 83,4% pour les salariés à la fin de l’année 2019.

 

Les questions de santé, de sécurité et de conditions de travail semblent également faire figure de parents pauvres, notamment du fait de la transversalité de l’instance. L’évaluation rapporte que d’après une enquête de l’ANACT pendant la pandémie « la réévaluation des risques professionnels et la mise à jour du DUERP ont été traitées pour près de la moitié des répondants » (p. 66). Donc plus de la moitié ne l’a pas fait… Ajoutons par ailleurs qu’un arrêt était venu préciser qu’il n’y avait pas d’obligation de consulter le CSE sur la mise à jour du DUERP (Cass. soc., 12 mai 2021, n° 20-17.288). De quoi conforter les employeurs dans la dynamique de résolution unilatérale des difficultés posées par la crise pandémique.

 

Une centralisation (relative) des instances

 

Le rapport fait état d’une centralisation des instances. S’il existe plusieurs cas différents qui conduisent les auteurs à relativiser cette centralisation, ceux-ci sont forcés de constater que ce mouvement existe. Il est en partie dû à une « centralisation des entreprises au point de vue de leur organisation et structure interne » (p. 46) qui se révèle « concomitante » à celle des instances représentatives. La centralisation correspondrait de ce fait à une volonté de placer les instances au niveau de la prise de décision, ce que ne corrobore pas la lecture de certains rapports dont nous ferons ensuite une recension.

 

Cette centralisation est parfois compensée par le recours aux commissions ou aux représentants de proximité. L’articulation semble cependant encore difficile à trouver et il existe un risque que cela marginalise certaines questions en dehors du CSE ou, à l’inverse, qu’elles ne soient qu’une instance de préparation qui annulerait en partie les effets des dispositions visant à empêcher la redondance des sujets traités à plusieurs niveaux.

 

Face à ces difficultés, le délégué syndical a pris une place nouvelle avec la mise en place des CSE. Il permettrait en effet de compenser la centralisation des instances et de porter une expression issue du périmètre dans lequel il est désigné : « la communauté de travail ». Ils ont aussi pu bénéficier de moyens supplémentaires dans le cadre des négociations sur le CSE qui ont souvent servi à remettre à plat tous les accords relatifs aux droits collectifs dans l’entreprise. Face à la diminution des moyens liés à la mise en place des CSE, l’augmentation des moyens des délégués syndicaux a pu être utilisée dans le cadre des négociations comme contrepartie.

 

En ce qui concerne les représentants de proximité, si ceux-ci sont rarement mis en place, l’une des raisons de leur création est parfois de compenser la centralisation de l’instance. On observe par ailleurs qu’ils ont été globalement absents de la gestion de la crise sanitaire. Sans doute la recherche de connaissances sur la réalité du collectif de travail implique-t-elle trop de procédures et de formalismes…

 

Pour aller plus loin :

https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-ordonnances-travail-rapport2021-_decembre.pdf

 

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