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Regards croisés : à quoi ressemblent les CSE ?

 

Deux ans après la publication des ordonnances Macron et à un mois de l’échéance, bien qu’une part importante des entreprises n’ait pas encore mis en place leur comité social et économique (CSE)[1], on commence à avoir une vision de comment les contradicteurs sociaux se sont saisis du « tout négociable ». Nous revenons sur trois études et rapports sur la négociation autour du CSE. Nous croiserons donc ces regards différents, à propos desquels nous émettons tout de suite les réserves qui sont de rigueur pour une analyse critique de leurs conclusions.

 

Par ordre chronologique de parution des documents :

  • Un rapport[2] qui procède à l’analyse de 4 50 accords relatifs au fonctionnement du CSE et qui adopte une approche quantitative. Il est l’œuvre d’étudiants de Montpellier sous la direction du professeur Paul-Henri Antonmattei. Ce dernier est président délégué du cabinet Barthélémy Avocats, qui conseille la moitié des entreprises du CAC 40, et il est un soutien affiché du Gouvernement et des ordonnances Macron. On ne s’étonne donc pas d’y trouver quelques biais, comme la mise en marge des accords de groupe pour mieux vanter la « décentralisation de la négociation collective » et un choix parfois discutable dans les calculs (par exemple le rapport nous apprend que 56% des accords augmentent le nombre d’élus ou le crédit d’heures de délégation sans diminuer l’autre donnée, or il s’agit de 56% des accords qui modifient le nombre de membres et le nombre d’heures de délégation, mais cela ne représente que 10% du panel d’accord complet).
  • Une étude juridique[3] menée par Benjamin Dabosville, avec une approche quantitative basée sur des accords collectifs de grandes entreprises ou de grands groupes (Renault, MAIF, FNAC, etc.), et centrée sur la question des représentants de proximité.
  • Un rapport[4] de deux cabinets d’experts pour la DARES sur l’appropriation et « la mise en œuvre des ordonnances du 22 septembre 2019 » avec une approche qualitative. Ce rapport est réalisé sur la base d’entretiens avec des élus ou mandatés et des employeurs ou leurs représentants. Ce rapport pêche cependant sur l’aspect représentatif puisque le panel compte 38 entreprises seulement et que la CFDT y est surreprésentée[5], du fait de liens préexistants entre les cabinets sélectionnés et le comité d’évaluation des ordonnances au sein duquel cette confédération est représentée, ainsi que l’UNSA quand la CGT y est sousreprésentée.

 

Se fondant sur les objectifs des ordonnances nous mettons en avant deux aspects : la rationalisation ou centralisation de la représentation du personnel et la recherche de proximité par une représentation facultative qu’est le représentant de proximité.

« Rationalisation » : une représentation rationnelle ou rationnée ?

 

La « rationalisation » était l’un des objectifs de cette réforme.  Cela se retrouve dans l’étude qualitative dans laquelle le terme « rationalisation » est traduit par les directions des ressources humaines comme « moins de réunions »[6] et par un délégué syndical central FO par moins de consultations sur un même sujet[7].

 

Deux aspects des ordonnances Macron permettent ce résultat.

 

Le premier, c’est l’aspect que l’on a abusivement qualifié de « fusion » des instances. Il ne s’agit pas d’une fusion à proprement parler, puisque le nombre de représentants, leurs moyens et une partie des attributions ont été modifiés, une fusion aurait seulement agrégé tous les élus, tous leurs moyens et toutes leurs attributions dans une instance unique, or le compte n’y est pas comme nous allons pouvoir le constater. Il s’agit bien d’une suppression des anciennes institutions représentatives du personnel (IRP) remplacées par une nouvelle instance unique. Là où l’on avait avant un délégué du personnel (DP), un comité d’entreprise (CE) et un comité hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT), il n’y plus qu’un comité social et économique.

 

Le second aspect, c’est la modification de la définition de la notion d’établissement distinct[8] au service d’une centralisation de la représentation du personnel. Cette modification permet de restreindre la définition de l’établissement distinct et donc de définir des périmètres plus larges qu’avant, impliquant la mise en place d’un seul CSE sur un seul établissement distinct, là où l’on pouvait compter plusieurs CE dans plusieurs établissements distincts auparavant.

 

L’étude ORSEU et Amnyos nous fournit ainsi l’exemple de l’entreprise Négoce passant de sept CE et trois CHSCT à un CSE unique ou de l’entreprise Comput passant de sept CE et douze CHSCT à trois CSE[9]. Par l’analyse du panel de 450 accords, le rapport quantitatif permet de tirer quelques conclusions sur les deux aspects des ordonnances que nous évoquons.

 

Sur le premier aspect, l’étude des 450 accord nous apprend que dans ce panel, 31% des accords augmente le nombre de titulaires. On peut donc en déduire que 69% des accords appliquent le minimum légal, avec 14 accords (3.11% du panel) qui diminuent le nombre d’élus. Précisons que 13.9% des accords renvoient au protocole d’accord préélectoral le soin de fixer le nombre d’élus, ce qui ne permet pas de déterminer dans cette étude l’impact sur le nombre d’élus. L’étude ne permet pas de quantifier pour autant le nombre d’élus avant et après la mise en place du CSE.

 

On peut établir qu’avec un même effectif, le passage au CSE représente une baisse du nombre d’élus plus ou moins grande selon la taille de l’entreprise, notamment grâce au tableau comparatif fait par la CGT. Cela semble donc cohérent avec le chiffre d’un tiers d’élus en moins, sur les 8.800 premiers CSE mis en place, qu’avait annoncé Muriel Pénicaud en septembre 2018.

 

Sur le second aspect, il s’agit d’utiliser la nouvelle définition de l’établissement distinct pour élargir le périmètre de mise en place du CSE et donc réduire le nombre de ces périmètres et de CSE à mettre en place. Par exemple, une unité économique et sociale (UES) pouvait avoir deux établissements distincts de 130 salariés et n’avoir plus aujourd’hui qu’un seul établissement de 260 salariés, passant de deux CE à un CSE. Là où l’on avait 24 titulaires, tous mandats confondus, on a plus que 11 titulaires au CSE du fait de la centralisation.

 

Ici encore, l’étude quantitative dirigée par le professeur Antonmattei ne permet pas de faire des comparaisons entre le nombre d’établissements distincts avant le CSE et le nombre actuel. On notera seulement que sur 450 accords conclus, 96.67% sont conclus dans des entreprises d’au moins 50 salariés et plus de 60%[10] dans des entreprises d’au moins 300 salariés. On relève cependant que 70,6% de ces entreprises ont fait le choix d’un établissement unique.

 

Il n’est donc pas possible d’évaluer sur la base de ce rapport si la nouvelle définition de l’établissement distinct a eu un réel impact sur le nombre de CSE à mettre en place bien que le nombre de CSE unique au regard de la taille des entreprises étudiées par le panel semble important. Une diminution du nombre d’établissements distincts liée aux nouvelles dispositions paraîtrait cohérent avec l’étude qualitative qui fait elle des comparaisons, mais sur un panel très restreint.

 

La « rationalisation » des instances se traduit concrètement par une baisse du nombre d’institutions représentatives et une baisse du nombre de représentants. Ce qui permet certes de diminuer le nombre de réunions et qu’une même question ne soit pas traitée dans plusieurs instances différentes, mais diminuer le nombre de réunions et de personnes pour poser les problèmes, ne diminue pas les problèmes.

 

Face à ce risque d’une centralisation excessive, qui a été anticipé, une compensation a été donnée : le représentant de proximité.

 

Le représentant de proximité : palliatif à la centralisation ?

 

Si le représentant de proximité fait l’objet d’une attention particulière, c’est sans doute par le suspense que crée la loi. Celle-ci nous dit en effet bien peu de chose, si ce n’est qu’il peut exister, que sa désignation dépend du CSE et que son mandat prend fin avec celui des élus du CSE[11]. Leur nombre, leurs attributions, leur fonctionnement, leurs moyens et leur mode de désignation dépendant quant eux de l’accord qui les crée. C’est donc dans ces accords que l’on va pouvoir observer ce qu’est ce représentant de proximité.

 

Mais face à la centralisation de la représentation élue du personnel consécutive à la mise en place du CSE, il peut être un lien de proximité et un moyen de délester le CSE de problèmes locaux, voire ersatz de délégués du personnel[12]. C’est ainsi que 77,4% des 123 accords mettant en place des représentants de proximité[13], étudiés dans le rapport des étudiants de Montpellier, concernent des entreprises à CSE unique. Dans certains cas, ils peuvent n’être qu’une compensation patronale à la baisse du nombre d’élus[14].

 

Les périmètre ne correspondent pas toujours au découpage opéré pour la mise en place des CSE. On trouvera ainsi des périmètres d’exercice géographiques ou professionnels, comme ils peuvent exister pour d’autres instances. Mais avec ces périmètres différents, les négociateurs cherchent à mailler ou compléter la représentation déficiente du fait de la mise en place du CSE. C’est ainsi qu’on va trouver des accords qui prévoient des représentants de proximité dans les périmètres où il n’y a pas d’élu CSE comme chez Schneider ou Total. 123 accords du panel de 450 accords mettent en place des représentants de proximité[15]. Parmi eux, 93 accords, soit 75.6% des accords mettant en place des représentants de proximité[16], retiennent un périmètre inférieur à l’entreprise. Soit, a contrario, presque un quart des accords mettant en place des représentants de proximité qui les installent dans le périmètre de l’entreprise, soit celui du CSE…

 

On observe également plusieurs modes de désignation dans les périmètres. Certains accords demandent une appartenance impérative du représentant au périmètre comme chez PMU, FNAC ou Total alors que Renault demande une appartenance préférentiel, laissant ouvert la possibilité de nommer un représentant de proximité n’appartenant pas au périmètre en cas de carence de représentants.

 

Ce mandat peut tantôt être incompatible avec celui de CSE, c’est le cas chez Schneider comme dans 2,4%[17] des accords étudiés par les étudiants de Montpellier, ou au contraire obligatoire comme chez Renault à l’instar de 26% des accords du panel précité. D’autres réservent ce rôle aux suppléants comme chez Carrefour, ce qui serait le cas de 5.7% des accords. L’étude des 450 accords semble indiquer un élargissement assez important de ce mandat en dehors des seuls membres du CSE puisque 56,9% des accords ouvrent ce mandat à tous les salariés, sans prioriser les élus du CSE.

 

Le rôle des syndicats dans leur désignation peut également être très divers, allant de la neutralité syndicale chez Adapei et Etam, à l’exclusivité dans la désignation, soit par une élection sur liste syndicale chez Sephora, soit par une répartition entre les syndicats chez PSA.

 

Concernant leurs attributions, Benjamin Dabosville identifie quatre catégories d’attributions :

  • Santé sécurité et conditions de travail, avec une délégation plus ou moins étendue des attributions du CSE, dans 74.8% des accords du panel[18] ;
  • Les réclamations individuelles et collectives semblent concerner 82.1% des accords traitant cette question ;
  • Réclamations et santé sécurité et conditions de travail ;
  • Et 49.6% des accords du panel transfèrent diverses compétences du CSE comme les activités sociales et culturelles à la FNAC ou certaines informations-consultations chez Renault[19].

 

Concernant leurs moyens le rapport des étudiants de Montpellier nous informe que ces représentants bénéficient de 1 à 10 heures de délégation dans 78.8% des 123 accords les instituant[20] et que 8.9% n’en prévoient pas. Soit 12.3% de ces accords donnant plus de 10 heures de délégations pour des attributions plus ou moins étendues.

 

Dans 66.7% de ces accords, des réunions sont prévues[21], 22.76%, soit 28 accords, reconnaissent la liberté de déplacement, et 29.6%, soit 36 accords, permettent l’accès à une formation, 20.3%, soit 25 accords, donnent des moyens matériels comme un panneau d’affichage ou un local et bien plus marginalement encore 3.25%, soit 4 accords, donnent accès à la BDES[22].

 

________

 

[1] Aux universités d’été du MEDEF, Muriel Pénicaud, la ministre du travail, annonçait la création de 40.000 CSE alors que l’INSEE identifiait pour l’année 2015 plus de 148.000 entreprises de plus de 10 salariés, donc assujetties à la mise en place de représentants du personnel.

[2] « Analyse de 450 accords relatifs au comité social et économique signés entre le 22 septembre 2017 et le 20 mars 2018 », Rapport rédigé par les étudiants du master 2 « Droit et Pratique des Relations de Travail » de l’Université de Montpellier, Paris, 28 juin 2019

[3] Dabosville (B.), « Les représentants de proximité : à la recherche des traits caractéristiques d’une nouvelle figure de représentant du personnel », RDT, n°6, juin 2019, p. 387

[4] Orseu et Amnyos, « Appropriation et mise en œuvre des ordonnances du 22 septembre 2017 réformant le droit du travail – Etude de terrain qualitative », Rapport pour la DARES à la demande du Comité d’évaluation des ordonnances, 23 septembre 2019

[5] Ce qui est reconnu par les auteurs du rapport en introduction.

[6] Rapport ORSEU et Amnyos, p. 28

[7] Ibid. « Avant on pouvait consulter jusqu’à 7 instances différentes sur le même sujet ».

[8] Article L. 2313-4 du code du travail

[9] L’étude précise le nombre de CSSCT dans ces entreprises pour les mettre en comparaison avec le nombre de CHSCT. Nous ne croyons pas que cette comparaison soit pertinente en ce sens que le CHSCT était une institution en soi, dotée de prérogatives et de moyens adaptés, et pas une simple commission ayant vocation à préparer les travaux d’une autre instance comme l’est la CSCCT. La comparaison nous semble de ce fait trompeuse et relever d’une certaine malhonnêteté intellectuelle.

[10] Ce calcul est effectué sur la base des chiffres donnés pages 5 et 7, mais faute de précisions il n’est pas permis de calculer exactement la part.

[11] Article L. 2313-7 du code du travail

[12] Rapport ORSEU et Amnyos, pp. 43 à 44 et 48 à 49

[13] « Analyse de 450 accords… », p. 26

[14] Rapport ORSEU et Amnyos, p. 45

[15] « Analyse de 450 accords… », p. 30

[16] Les rapports se feront ici sur la base des 123 accords créant des représentants de proximité au sein du panel de 450 accords.

[17] Ces chiffres ne se rapportent pas aux 450 accords mais aux 123 accords du panel qui mettent en place des représentants de proximité. On les retrouvera aux pages 29 à 30.

[18] « Analyse de 450 accords… », p. 33, pour les attributions des représentants de proximité.

[19] Ce qui pose la question de la licéité de telles délégations.

[20] « Analyse de 450 accords… », p. 35

[21] « Analyse de 450 accords… », p. 36

[22] « Analyse de 450 accords… », p. 38

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