Les entreprises ont commencé à mettre en place le nouveau Comité Social et Economique. Les directions des ressources humaines, les organisations syndicales et représentants du personnel qui ont abordé le sujet, ou ont déjà mis en place le CSE, le font avec des approches très disparates.
article de blog publié le Jeudi 13 septembre 2018 par Philippe Gervais
Le changement induit par les ordonnances qui viennent de réformer le code du travail est souvent relativement mesuré dans les petites entreprises. Par contre, les entreprises plus grosses ou multi-établissements doivent ouvrir un chantier inédit pour définir l’organisation future de leurs instances représentatives du personnel.
La fusion du CE, du CHSCT et des délégués du personnel dans le CSE vise à rassembler les différents sujets de dialogue en un même lieu avec l’objectif de gagner en cohérence. L’expérience issue des entreprises ayant mené les discussions de mise en place du CSE sur le premier semestre 2018 montre notamment qu’il convient néanmoins de rester très attentif à garder des lieux et des moyens de dialogue en proximité du terrain, et qu’un certain nombre d’entreprises peinent à trouver des solutions qui recueillent la confiance à la fois des dirigeants, des représentants du personnel et des managers.
Une bonne utilisation des marges de manœuvre qu’offre désormais le cadre légal constitue donc un enjeu particulièrement important.
1) Le nouveau cadre prévoyant le CSE laisse un large champ ouvert à la négociation
Les acteurs avaient l’habitude d’un cadre légal assez prescriptif sur l’organisation et les rôles spécifiques des différentes instances CE, CHSCT, DP. Le nouveau cadre laisse des sujets extrêmement structurants à l’initiative des différentes parties prenantes dans l’entreprise et à des solutions définies par accord. C’est notamment le cas de la mise en place de représentants de proximité, ou de l’organisation des Commissions Santé Sécurité et Conditions de Travail, destinées à reprendre au moins une partie du rôle des CHSCT.
Plusieurs cadres contractuels sont possibles pour formaliser les résultats de la négociation sur les instances de représentation du personnel autour du futur Comité Social et Economique, qui pourra porter sur de nombreux sujets.
Le protocole d’accord préélectoral et le règlement intérieur perdurent, mais ils ne peuvent pas, la plupart du temps, porter tous les nouveaux sujets à négocier. Jusqu’à aujourd’hui, existaient deux supports principaux :
– Le protocole d’accord préélectoral : son objet était essentiellement de définir les périmètres des établissements distincts dans les entreprises en comptant plusieurs, de répartir les sièges par collèges, et d’organiser l’ensemble des modalités du processus électoral. Il est signé avec les organisations syndicales. Ce protocole doit être renégocié avant le lancement de chaque nouveau cycle électoral.
– Les règlements intérieurs du CE et du CHSCT sont obligatoires. Le règlement intérieur du CE, comme celui du CSE, est tenu de traiter de certaines questions, notamment les modalités d’arrêté des comptes du CE. Plus largement, il prévoit les « modalités de son fonctionnement et celles de ses rapports avec les salariés de l’entreprise, pour l’exercice des missions qui lui sont conférées ».
– Certaines entreprises ont complété ce dispositif par des accords de dialogue social ou des accords de droit syndical. Ces accords peuvent, par exemple, organiser les modalités de prise des heures de délégation, prévoir les moyens mis à disposition des organisations syndicales, etc.
Les ordonnances ont prévu que de très nombreux sujets puissent être traités par la négociation dans chaque entreprise. Le protocole d’accord préélectoral et le règlement intérieur s’avèrent être des outils insuffisants, eu égard au champ très large des questions à régler.
2) L’accord de mise en place du CSE
Les ordonnances qui ont réformé le code du travail prévoient qu’un accord collectif (voire plusieurs accords) puisse définir les conditions de mise en place du CSE. Si les parties prenantes dans l’entreprise s’en emparent, cet accord de « mise en place du CSE » peut trouver une place très structurante dans l’organisation du dialogue social. Il a vocation à être l’une des pierres angulaires de la mise en place du CSE, mais il n’est pas obligatoire. À défaut d’accord collectif, la plupart des sujets peuvent être définis par décision unilatérale de l’employeur.
Cet accord collectif constitue le cadre où se définissent les périmètres des établissements distincts, là où jusqu’ici le seul support contractuel disponible était le protocole d’accord préélectoral.
Il a vocation également à pouvoir fixer les modalités de mise en place des commissions, en particulier de la (ou les) commission(s) Santé Sécurité et Conditions de Travail. Cet accord peut également décider de la mise en place de représentants de proximité, préciser leurs rôles et les moyens qui leurs sont alloués. En la matière, l’accord collectif est même la seule solution, les représentants de proximité ne pouvant être mis en place unilatéralement par l’employeur.
Le Comité Social et Economique regroupe dans une seule instance les différents champs du dialogue social issus du CE, du CHSCT et des délégués du personnel, avec pour objectif d’apporter une plus grande cohérence globale. Mais cette centralisation présente le risque d’éloigner le dialogue social du terrain, en particulier dans les entreprises d’une certaine taille ou à établissements multiples. Dans ces entreprises, il est particulièrement important de bien utiliser les possibilités offertes par la loi de s’appuyer sur les Commissions Santé Sécurité et Conditions de Travail et sur des représentants de proximité.
L’accord de mise en place du CSE peut également traiter de nombreuses autres questions : les modalités de désignation des représentants de proximité et membres des commissions, le nombre d’élus et d’heures de délégation, le parcours professionnel des représentants du personnel, les rôles respectifs du CSE, des commissions et des délégués de proximité, l’organisation du travail du CSE et les interfaces entre les différents lieux de dialogue, etc.
3) Un besoin d’anticiper le dialogue sur la mise en place du Comité Social et Economique
L’objectif affiché de la réforme est de fournir aux entreprises et aux représentants du personnel le cadre permettant une amélioration du dialogue social, une meilleure prise en compte de l’expression des salariés, une meilleure adaptation aux spécificités de chaque entreprise.
Les premiers retours d’expérience montrent qu’il est nécessaire de prendre le temps de la réflexion et du dialogue, pour réussir la construction des instances de représentation du personnel des années à venir.
Prendre les bonnes options suppose en effet que les représentants du personnel et la direction de l’entreprise prennent du recul. Un diagnostic est nécessaire pour identifier ce qui aujourd’hui donne satisfaction dans le fonctionnement des IRP, et ce qui peut être amélioré. Cela permet d’éclairer le choix des modes d’organisation futurs des IRP, qui permettront un bon dialogue et une réelle expression indépendante des représentants du personnel. Il s’agit d’assurer une bonne prise en compte des questions importantes du point de vue de l’entreprise et de son avenir et du point de vue des salariés. Les solutions choisies doivent pouvoir traiter aussi bien les sujets touchant à la stratégie de l’entreprise, que les questions très proches du terrain comme l’adaptation des organisations, les conditions de travail, l’adéquation des compétences…
La réalisation d’un diagnostic le plus partagé possible et le choix de solutions qui puissent être les mieux adaptées aux objectifs de tous prennent le plus souvent du temps. Dans la majorité des entreprises, le protocole d’accord préélectoral ne constitue pas un cadre favorable à une réflexion de fond.
Les premiers retours d’expérience montrent qu’il est pertinent d’engager les travaux et le dialogue sur la mise en place du CSE bien en amont. Trop souvent, quand l’accord de CSE est préparé sous la pression d’échéances électorales proches, l’ambition est plus limitée, le débat se centre sur le niveau auquel sera mis le curseur des moyens, pour aboutir souvent à un niveau légèrement supérieur aux dispositions minimales supplétives de la loi…
4) Bien articuler les différents cadres contractuels pour mettre en place le CSE et définir son fonctionnement
Dans le contexte précédent, où le cadre légal était plus prescriptif, le protocole d’accord préélectoral était le support principal de définition des quelques éléments d’organisation des instances représentatives du personnel qui relevaient du choix de l’entreprise. Désormais, les entreprises et les représentants du personnel disposent donc de trois supports : l’accord de mise en place du CSE, le protocole d’accord préélectoral et le règlement intérieur.
Le besoin d’une réflexion en amont sur la mise en place du CSE conduit à donner une place importante à l’accord de mise en place du CSE. Dans les entreprises de taille importante ou à structure complexe, il a vocation à avoir une place prépondérante. Pour les questions que l’accord de mise en place du CSE choisira de ne pas traiter directement, celui-ci pourra également jouer le rôle «d’accord de méthode», notamment pour les sujets qui seront à traiter ultérieurement dans le règlement intérieur, ou dans des accords d’établissements.
Sur un nombre important de sujets liés au fonctionnement du CSE, le choix existe en effet entre la définition par accord, notamment l’accord de mise en place du CSE, ou le traitement via le règlement intérieur. Quelques entreprises ont également fait le choix de traiter une partie des questions de fonctionnement du CSE une fois passée les élections : les choix risquent alors d’être réalisés sous pression de l’urgence à faire fonctionner l’instance nouvellement élue. Cela conduit à ne pas recommander cette solution.
Il est possible d’identifier quelques avantages et inconvénients et critères de choix entre les différentes solutions :
- – la volonté ou non de disposer d’un accord à durée indéterminée. L’accord collectif de mise en place du CSE est valide sur la durée décidée par les signataires, là où le protocole d’accord préélectoral ne vaut que pour une mandature.
- – Lorsque sont prévus des engagements de l’employeur allant au-delà de ce qui est stipulé par la loi, ces engagements auront plus de force dans un accord collectif que via un règlement intérieur, dans lequel ils constituent l’équivalent d’engagements unilatéraux de l’employeur.
- – Les différents cadres contractuels disponibles ne font pas intervenir les mêmes interlocuteurs : le règlement intérieur implique les membres élus du nouveau CSE, l’accord collectif de mise en place du CSE implique les seules organisations représentatives de l’entreprise, là où le protocole d’accord préélectoral implique également toutes les organisations syndicales représentatives dans la branche et au niveau national.
- – L’accord de mise en place du CSE, au moins pour le premier cycle électoral, est le seul outil permettant de formaliser un accord en amont du processus électoral. Il reste modifiable ensuite. Le règlement intérieur, à l’inverse, ne peut être mis en place qu’une fois le premier Comité Social et Economique élu. Il est ensuite modifiable facilement par simple vote du CSE.
5) Un enjeu important pour l’évolution du dialogue social dans les années à venir
L’un des objectifs fixés au nouveau cadre légal par le législateur est de sortir le dialogue social de son caractère trop souvent formel, au profit d’un dialogue qui s’adresse au fond des questions, et à la recherche de solutions.
Il est dès lors essentiel de porter une vision ambitieuse, créatrice de confiance, et d’éviter les orientations qui seraient axées en priorité sur la réduction des moyens alloués au dialogue social.
Cela suppose que les entreprises accordent toute l’importance nécessaire aux discussions à engager et aux accords à conclure en matière de mise en place du CSE. Cela devra être tout particulièrement le cas dans les entreprises à établissements multiples ou d’une certaine taille, qui sont les plus concernées par le besoin de mettre en place des interlocuteurs et des lieux de dialogue de proximité.
Les organisations représentatives du personnel n’ont pas partagé, sur de nombreux points, la vision positive des organisations patronales sur les ordonnances réformant le Code du travail, en particulier concernant le Comité Social et Economique. Une enquête réalisée en juin 2018 à la demande du comité d’évaluation des ordonnances, 6 mois après le début de la mise en œuvre, a confirmé qu’une part importante des représentants du personnel des entreprises de taille intermédiaire ou importante anticipent que la mise en œuvre des ordonnances risque de dégrader le climat social. L’enjeu est donc de taille pour permettre aux différentes parties prenantes de tirer finalement un bilan positif dès la première mandature du nouveau CSE.
Une phase d’apprentissage collectif va rester inévitable, même là où les différents acteurs, y compris les employeurs, se seront fixé loyalement comme objectif l’amélioration du dialogue social et des capacités d’expression et d’action autonomes des représentations du personnel. Dans ce contexte, et en particulier dans les grandes entreprises, il ne peut qu’être recommandé de mettre en place un suivi des objectifs fixés, et de prévoir des moments d’évaluation et d’ajustement des dispositifs, par exemple au bout d’un an de fonctionnement dans le nouveau cadre.
Les différents acteurs dans les entreprises ont une responsabilité importante, en particulier les employeurs, dont les organisations représentatives ont appelé de leurs vœux un dispositif qui donne une place prépondérante à la négociation d’entreprise. Dans un monde où les mutations économiques, technologiques et sociales sont de plus en plus rapides, il est en effet essentiel de construire des institutions représentatives du personnel adaptées aux enjeux auxquels font face les entreprises, les salariés et leurs représentants.
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